28 Sep, 2018

En Martinique, la pollution au chlordécone qualifiée de fruit d’une époque désormais révolue, d’un aveuglement collectif (…) sera reconnue en tant que maladie professionelle

Dans le Monde ce jour, Pas question de faire l’impasse. Alors que l’arrivée du cyclone Kirk a bouleversé le programme de sa visite de quatre jours aux Antilles – les rassemblements en public ont été interdits par le préfet –, Emmanuel Macron n’a pas souhaité sacrifier la séquence consacrée au chlordécone, un pesticide toxique utilisé durant plus de vingt ans dans les bananeraies et qui a pollué pour des siècles les sols de la Guadeloupe et de la Martinique. Arrivé tard, la veille, de New York, où il participait à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU), le chef de l’Etat s’est rendu, jeudi 27 septembre, dans une ferme maraîchère de Morne-Rouge, une commune martiniquaise au pied de la montagne Pelée, où il s’est notamment entretenu avec des agriculteurs.

« La pollution au chlordécone est un scandale environnemental, a reconnu Emmanuel Macron après une courte visite sous des averses. C’est le fruit d’une époque désormais révolue, (…) d’un aveuglement collectif. » Accompagné de la ministre de la santé, Agnès Buzyn, le président de la République a annoncé l’ouverture d’une procédure permettant de reconnaître l’exposition au chlordécone comme maladie professionnelle. « L’Etat doit prendre sa part de responsabilité », a-t-il dit.

Concrètement, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) devront rendre d’ici à mars 2019 un rapport permettant de dire à partir de quel niveau d’exposition les ouvriers agricoles qui furent employés dans les bananeraies pourront être pris en charge et indemnisés. Ensuite, les partenaires sociaux devront s’accorder sur les modalités et notamment sur le niveau de cette prise en charge. « On ouvre un processus de reconnaissance », a plaidé M. Macron.

Par ailleurs, il a annoncé une augmentation du budget consacré aux contrôles des aliments produits sur des terrains contaminés au chlordécone. Celui-ci sera porté à 3 millions d’euros d’ici à 2020, contre 2,1 millions d’euros actuellement.

En revanche, le locataire de l’Elysée a fermé la porte à l’hypothèse d’une indemnisation générale de la population antillaise, qui a été très largement exposée à la molécule. « Si je disais qu’on va indemniser tout le monde, c’est impossible même budgétairement et ce serait irresponsable », a-t-il déclaré. De la même façon, il s’est refusé à reconnaître le lien de cause à effet entre l’exposition au chlordécone et l’explosion du nombre de cancers de la prostate en Guadeloupe et en Martinique. « Il n’y a pas aujourd’hui de preuve scientifique établie », a-t-il dit, tout en ajoutant dans un « en même temps » acrobatique : « Ce qui est établi, c’est que ce n’est pas bon. »



5 Fév, 2018

Réputation : 3 entreprises , 1 modèle qui se répète sans cesse. Pourquoi ?

Cet article porte sur une analyse de la communication de crise de trois grands dossiers. Il faut saluer l’initiative: l’auteur a du mérite à s’essayer sur ce terrain difficile souvent jalonné de poncifs, ce n’est pas le cas ici, bien au contraire. Je note quelques point de divergences mais tous les éléments éléments développés sont très intéressants. Première divergence : Il ne s’agit pas de crise réputationnelle pour Lactalis et Servier mais de crise sanitaire conduisant pour Servier c’est certain à des morts et des malades. La réputation n’est qu’un second dommage, une conséquence. Deuxième élément, les médias sont de mon point de vue souvent un vecteur qu’empruntent les employés et les victimes lorsqu’elles estiment ne pas avoir d’autres moyens. Enfin : Je suis d’accord sur l’idée de la crise vue comme le fruit d’une sédimentation –  non de facteurs délétères –  mais bien de méthodes et de processus délétères. Car la communication révèle ce qui manque. Il existe de nombreuses études sur la crise, sa balistique faite par des scientifiques, j’ai moi même travaillé avec le CNRS et l’EHESS  sur ces objets bizarres. l’approche de « L’ouverture de l’expertise à la société dans la sécurité sanitaire » en est une réponse. Il y a beaucoup d’éléments dans cet article. Je vous laisse les découvrir.

La communication révèle souvent les creux, les manques de méthodes, l’absence de préparation au chaos, parfois la suffisance. Les stratégies de communication de crise sont au nombre de 4 . Un de ces jours j’en ferai un article…

A première vue, Lactalis, VW et Servier n’ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres. Le premier élabore et vend des produits laitiers. Le second conçoit et commercialise des véhicules. Le troisième traque les molécules pour mettre au point des médicaments. Un point les rassemble pourtant : le trio a traversé ou traverse encore une crise réputationnelle énorme dont les retentissements peuvent perdurer bien au-delà du pic frénétique de la couverture médiatique. Pourtant, en observant les déboires de ces 3 multinationales, on s’aperçoit que la crise s’articule toujours autour des mêmes ressorts et génère les mêmes ratages au final. Eclairages avec les cas de Lactalis, VW et Servier et son très critiqué Mediator.

La crise au sein d’une organisation est encore trop souvent perçue par les dirigeants comme une plus ou moins violente poussée de fièvre que de satanés médias et maintenant influenceurs digitaux contribuent à exacerber. La crise reste encore seulement analysée à travers le prisme de l’élément déclencheur (un accident, une intoxication, une étude accusatrice, une révélation de la presse, etc). Et dans ces cas-là, la réaction est au pire de se murer dans un mutisme de béton ou alors convoquer séance tenante une agence de communication spécialisée qui saura forcément éteindre le feu. Dommage que cette culture de la communication de crise persiste car cela revient à envoyer des communicants éteindre un feu de forêt en étant seulement munis de seaux d’eau. Dans bien des cas, la crise ne survient par hasard, ni ex-nihilo. Elle est le « fruit » d’une plus ou moins lente sédimentation de facteurs délétères qui auraient pu être corrigés (et ainsi éviter la crise) et qui sont très souvent consubstantiels avec la culture qui dans l’entreprise mais également son écosystème immédiat. 

Facteur n°1 : la douce ivresse de l’arrogance et de l’infaillibilité

Formulé ainsi, l’intitulé du paragraphe engendrera peut-être des sourires narquois. Etre leader de son marché (ou du moins un de ses acteurs majeurs) n’implique pas forcément de dériver vers le syndrome « je suis le plus fort du monde », « rien ne peut m’arriver, j’ai tout prévu » ou encore « les autres sont des nuls ». Pourtant, ces phrases si simplistes ont quelquefois tendance à s’incruster insidieusement au fil du temps au sein de comités de direction. Surtout si le succès est régulièrement au rendez-vous et que la culture interne de l’entreprise est forte.

Pour s’en convaincre, il suffit de regarder aujourd’hui l’image changeante des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Il y a encore quelques années, les critiquer revenait à coup sûr à obtenir une fin de non-recevoir ou un jargon corporate aseptisé jurant la main sur le cœur que non, ces géants du numérique n’œuvraient que pour le bien du monde et rien d’autre. Pourtant, entre remises en cause récurrentes sur leurs acrobaties fiscales, obscurité savamment gérée sur le devenir des données personnelles des utilisateurs, modes managériaux pas si bienveillants que clamés (à cet égard, Amazon vient de faire fort avec son projet de bracelet connecté pour contrôler la productivité de ses salariés !) et on en passe tellement les questions affleurent de toute part sans que jamais il n’y ait franche et claire réponse, la réputation des GAFA s’est sérieusement ternie. Certes, elle truste encore des classements enthousiastes chez les étudiants ou les technophiles enragés. Il n’en demeure pas moins que le vent de la contestation a pris de l’ampleur à force de mépriser les publics concernés. Même en Silicon Valley, la Terre Sainte des geeks, l’heure n’est plus vraiment à la messe dévote.  C’est même ivresse de l’arrogance et de l’infaillibilité qui a percolé dans les strates des organisations comme Lactalis, VW et Servier.

Lactalis

Pour le n°1 des produits laitiers, cela se traduit par un mutisme atavique depuis la fondation de l’entreprise par la première génération de la famille. Ce qui conduira à une culture inoxydable du silence. Le groupe peut bien à avoir désormais acquis une taille mondiale avec des marques réputées, côté communication, on ne parle pas. A quoi bon ? On sait ce que l’on fait. La réflexion d’Emmanuel Besnier dans le JDD est d’ailleurs révélatrice (1) : « Nous sommes une entreprise discrète. Ma famille a grandi dans une culture de la simplicité et de la discrétion. C’est aussi la mentalité de notre région. Ici, en Mayenne, c’est vrai, c’est le travail d’abord, la parole après ». Et l’ancien ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll d’en avoir lui-même fait l’expérience (2) : « On ne le voit jamais. Je ne l’ai jamais vu, je n’ai pas son portable ». Depuis la dernière crise en date des salmonelles dans les poudres infantiles de l’usine de Craon, il aura donc fallu … 2 mois pour que le PDG daigne enfin s’excuser publiquement (3) : « Toute l’entreprise, moi le premier, sommes mobilisés vers un objectif commun : réparer et améliorer ce qui doit nécessairement l’être et restaurer la confiance entre vous et nous ». C’est dire si la réalité avait été sacrément perdue de vue !

VW

Le dorénavant feu « Das Auto » incarnait à lui seul toute la puissance et même l’intouchabilité que dégageait le groupe Volkswagen. Là aussi, l’histoire est à la base une immense réussite grâce une voiture populaire qui aurait bien pu ne jamais voir le jour si un ingénieur n’en avait pas exhumé les plans juste après la 2ème guerre mondiale. Spécialiste de l’automobile et économiste, Bernard Jullien estime cette puissance acquise a paradoxalement induit les premières failles (4) : « Le parcours de Volkswagen (…) a installé l’entreprise dans une superbe qui lui a fait tourner la tête ». Il est vrai que le géant allemand vole d’acquisition en acquisition avec Audi, Seat, Skoda mais aussi Porsche, Bentley, Bugatti, Lamborghini. Celui-ci se dote même d’un parc de loisirs tout à la gloire de la marque où se pressent chaque année 2,3 millions de visiteurs et même 150 000 d’entre eux qui repartent avec une voiture achetée sur place ». Sauf que voilà ! Dans ce tableau idyllique de premier de la classe, il y a un agaçant caillou dans la chaussure : le marché nord-américain. Hormis avec sa célèbre Coccinelle et un peu avec son Kombi, la marque de Wolfsburg n’a jamais réellement réussi à s’imposer auprès des conducteurs américains. Pour enfin conjurer le sort Outre-Atlantique, VW dégaine alors le concept commercial « Clean Diesel » afin de devoir subir les révélations d’un laboratoire qui démontre que le constructeur a triché sur les véritables taux d’émission de dioxyde d’azote. Pourtant, rebelote ! Il faudra quelque peu tordre le bras du PDG d’alors, Martin Winterkorn (5) : « Personnellement, je regrette profondément que nous ayons déçu la confiance de nos clients et de l’opinion publique ». Or, 2 ans et demi plus tard, VW traîne encore le boulet de ce mensonge en étant accusé d’avoir forcé des singes à respirer des gaz d’échappement issus des moteurs diesels !

Servier

Fondateur du groupe pharmaceutique éponyme et aux rênes de l’entreprise quasiment jusqu’à sa mort, Jacques Servier aura forgé la culture interne sur le principe intangible du silence médiatique. Même la presse quotidienne régionale où sont implantées des usines Servier pourvoyeuses d’emploi, ne parvient pas à extirper un mot du dirigeant. D’ailleurs, c’est bien simple. Dans l’organigramme du laboratoire qui multiplie ses développements en France et à l’étranger, la fonction de directeur de la communication n’existe purement et simplement pas. Sauf depuis la ravageuse affaire du médicament, le Mediator, suspecté d’avoir entraîné la mort possible de plus de 500 patients en France. Il n’empêche que même au cœur de cette tempête réputationnelle qui sera la plus dure que Servier aura à affronter, le président n’en démord pas et enfonce même le clou (6) : « Je pèse mes mots : nous sommes sidérés, stupéfaits ! (…) Le Mediator a été retiré par nous-mêmes en accord avec l’Agence après réévaluation du bénéfice/risque  (…) En 34 ans, ce produit n’a pas suscité la moindre plainte. Il y a un mystère (…) Tout à coup, le bruit médiatique surgit, disproportionné  (…) C’est à se demander si cette affaire est une fabrication ». Vraiment ?

Facteur n°2 : l’obsession de la verticalité hiérarchique et centralisatrice

Bien que d’autres modèles de management aient éclos durant ces dernières décennies (certains n’étant d’ailleurs pas forcément non plus des solutions idoines !), la culture managériale qui consiste à donner un pouvoir indiscutable à la gouvernance centrale d’une organisation, prévaut encore. Même chez les GAFA pourtant très forts pour abondamment communiquer sur le style décontracté et doigts de pieds en éventail des managers entre un baby-foot, un mot multicolore gribouillé et la mise au ban de la cravate, l’axe vertical ultra-standardisé est une chose bien plus pratiqué qu’on ne pourrait le supposer de prime abord.

Les « bibles corporate » censées répondre à tout type de question ne doivent pas varier d’un iota d’un marché à l’autre. Ainsi chez Google, pour déminer les critiques de monopole souvent adressées, la phrase consacrée à tout moment était : « nous ne sommes qu’à un clic de la concurrence » ! Et voilà comment on déplace le débat sans y toucher !

Lactalis

Chez Lactalis, c’est évidemment la famille qui détient exclusivement les clés du pouvoir. Quoi qu’il se passe ou se décide chez le leader mondial des produits laitiers, rien ne transpire au préalable. Le cœur du réacteur se situe derrière les murs du siège social à Laval en Mayenne et situé dans … une impasse ! Autrement dit, chaque sujet, y compris et surtout les problèmes, doit rester confiné à tout prix. Illustration de cette tour d’ivoire hermétique : la corroboration scientifique récente que les souches de salmonelle en ligne de mire de la crise actuelle étaient les mêmes que celles qui avaient déjà infesté le bâtiment industriel en 2006 ! Dès lors comment on peut perdurer de telles anomalies ? Défaut de communication interne ? Peur de remonter des infos sensibles à la puissance décideuse ?

VW

Le scandale du Diesel Gate a mis en exergue ce même type de défaillance. A tel point qu’on y parlait de culture de la peur et que (7) : « Chez Volkswagen, ça marche comme en Corée du Nord ». Volkswagen a largement contribué à cultiver une gouvernance d’entreprise au centralisme très affirmé. Aujourd’hui, les témoignages abondent pour dire que les décisions stratégiques relevaient souvent du « top-down » mais aussi d’un certain entre-soi. Dans le passé, Volkswagen avait notamment dû se dépêtrer de scandales de détournements de fonds et de parties fines entre quelques dirigeants et syndicalistes, symptômes d’une gouvernance défaillante. Professeur à l’Université de Duisbourg et expert du secteur, le professeur Ferdinand Dudenhöffer le confirme (8) : « Comme ces scandales en cascade l’ont montré, Volkswagen souffre d’une insuffisance de contrôles internes. Notamment parce que le conseil de surveillance et la direction sont nommés par les représentants syndicaux qui font la pluie et le beau temps ».

Servier

Le laboratoire pharmaceutique est également l’incarnation de ce mode « control freak ». A tel point que les candidats pressentis pour poste faisaient l’objet d’enquêtes en parallèle afin d’être bien « raccords » avec les convictions un brin réactionnaires du fondateur. Dans le cas contraire, le CV s’évanouissait ! En fait, tant que la quiétude persiste, les collaborateurs cultivent aisément eux-mêmes le sentiment d’être dans le vrai et à l’abri grâce aux procédures et aux certifications qui régulent leurs activités. Le dirigeant est alors perçu (et se perçoit lui-même) comme un « gagneur », un brillant stratège, un efficace décideur. Il tire sa légitimité de sa capacité à préserver les acquis et à capitaliser sur les recettes qui ont forgé le succès et la réputation de son organisation depuis des lustres. Mais quand les crises éclatent et se succèdent (Et Servier en a vécu un certain nombre), les choses se compliquent. Professeur à la faculté des Sciences de l’administration de l’Université de Laval à Québec, Christophe Roux-Dufort appelle cela l’ « ignorance managériale ». Dans un article sur la communication de crise et les situations d’urgence, il constate (8) : « les dirigeants même les plus brillants pêchent par difficulté à apprendre et sèment les conditions nécessaires au non-apprentissage dans leur entreprise (…) Souvent même lorsque les interstices sont visibles et connus, les dirigeants persistent à faire comme s’ils n’existaient pas ou comme s’ils ne revêtaient pas d’importance à leurs yeux ». Ce qui se traduit fréquemment par le refus du questionnement, l’impossibilité de l’apprentissage et la négation de l’événement ». C’est ce qu’a fait Jacques Servier avec la crise du Mediator.

Facteur n°3 : Je sais tout mais je ne dirai rien

Dans les crises, il est évidemment courant de taper sur celui ou celle qui s’y trouve plongé. Après tout, il est l’auteur du dysfonctionnement constaté. Et s’il n’avait pas par ailleurs cultivé les 2 facteurs précédents, il aurait pu éviter que les choses ne dégénèrent. Effectivement, la recherche du bouc émissaire est fréquemment une propension, notamment dans les médias et l’opinion publique. Il faut vite identifier un coupable, le punir et lui faire réparer. Sauf que le contexte d’une crise n’est pas aussi. L’auteur d’une crise est éminemment un acteur majeur mais il est aussi souvent la première de plusieurs poupées gigognes. Un industriel notamment n’évolue pas seul. Même si lui-même fait peu acte de transparence à l’égard de son écosystème, il est malgré tout tenu à certaines obligations régulatrices, légales, financières, économiques, etc. Or, derrière ces obligations existent des organisations administratives qui peuvent savoir tout ou partie d’un problème sous-jacent mais faire parfois le choix d’opportunément fermer les yeux pour diverses raisons.

Lactalis

Si l’industriel du lait ne publie pas ses comptes comme la loi l’y astreint pourtant, c’est pour une raison étonnante, et pas uniquement se protéger de la concurrence : un des vice-présidents du tribunal du Commerce de Laval où est basé le siège, est aussi un cadre dirigeant de … Lactalis. Même pour des acteurs tiers, chatouiller un dossier sensible n’est donc pas chose évidente. Surtout lorsqu’on a en face une organisation qui pèse lourd économiquement et socialement dans une région qui ne figure pas parmi les plus dynamiques.

VW

C’est sans doute la facette la moins visible de la crise du Diesel Gate de Volkswagen. Pourtant, l’implication des décideurs politiques allemands a aussi sa part contributive dans l’affaire. Le capital de l’entreprise est déjà historiquement détenu à 20% par le Land de Basse-Saxe qui a toujours regardé de très près la vitalité économique du constructeur au regard des emplois qu’il génère et des devises qu’il engrange. En 2008, la chancelière Angela Merkel a même réussi à faire capoter une loi européenne qui visait à limiter les droits de vote d’un actionnaire détenteur de 20% d’un capital ! Mais les instances européennes ne sont guère épargnées non plus depuis que le scandale sévit. Selon une récente étude de l’ONG Corporate Europe Observatory, 240 lobbyistes ont été déclarés en 2014 comme travaillant à la défense des intérêts du secteur automobile dont 43 directement pour Volkswagen et 105 pour des constructeurs et organismes professionnels allemands (10).

Servier

Parfois, c’est l’acteur lui qui prend les devants et entend façonner son écosystème à guise et dans le sens de ses intérêts. L’affaire du Mediator a d’ailleurs permis de mettre la lumière sur les pratiques d’influence très borderline de Jacques Servier auprès d’élus politiques de tous bords et impliqués sur des sujets sanitaires et réglementaires. Quelques années avant sa mort, Jacques Servier le reconnaîtra lui-même dans un livre consacré à sa vie d’industriel du médicament (11) : « Si j’habite à Paris depuis longtemps, c’est pour la seule raison que, dans notre pays, il faut constamment intriguer dans la capitale, multiplier les pas et les démarches, se débattre toujours ».

Mais alors pourquoi n’apprend-t-on pas des crises ?

Bien malin (voire devin) est celui ou celle qui saura poser un diagnostic et un remède clairs. C’est effectivement déstabilisant de constater qu’à des périodes diverses et dans des secteurs d’activités variés, on retrouve systématiquement la même mécanique de crise qui conduit un jour au big-bang réputationnel. Etonnant en effet de voir que de grands noms comme Lactalis, VW, Servier ont longtemps pensé que mettre la poussière sous le tapis suffisait à s’affranchir d’une crise. Au début des années 2000, cette « tactique » pouvait tant bien que mal produire quelques effets (souvent dilatoires mais rarement résolutoires).

Aujourd’hui, cela relève de l’inconscience totale à l’heure où les sources médiatiques se sont multipliées, que l’expression des influenceurs gagne en poids, que les lanceurs d’alerte deviennent des acteurs non-négligeables. Qui peut encore décemment croire à la validité d’une communication de crise qui consiste à se taire, à émettre de timides excuses (souvent à contretemps en plus) et essayer de digresser ? On ne gère plus une crise de nos jours. On la subit car le déferlement est tel que l’incriminé peut bien se débattre avec son infirmière d’agence de communication, le mal est fait et les traces numériques gravées pour longtemps.

La communication de crise doit inverser son paradigme, à savoir pratiquer plus intensément la veille interne et externe et traiter rapidement les signaux faibles avec des actes concrets. On ne gère plus une crise. On tente de l’éviter au mieux en ayant une approche sans doute plus humble, en sachant que le risque zéro est un mythe. Avec leurs stratégies de communication de crise, Lactalis, VW et Servier ont de surcroît pris de très gros risques pour le reste de leurs marques. Actuellement, le lait Lactel ou le camembert Président (marques de Lactalis) ne ressentent pas (encore ?) les suspicions des consommateurs. De même, Audi, Seat, Skoda, Porsche, etc ont reçu une onde de choc minime issue des déboires de VW. En revanche, la filière industriel du diesel en a largement pris pour son grade et n’a pas fini de payer l’addition dans l’opinion publique comme chez les régulateurs. Enfin, Biogaran (laboratoire de Servier qui fabrique de nombreux médicaments génériques) est passé à travers les gouttes. Hormis les pros de la pharmacie, personne ne sait que Biogaran a pour maison-mère Servier ! Il n’en demeure pas moins que la pression de la crise potentielle va continuellement s’accentuer. Celles et ceux qui laisseront cette systémique de crise s’installer en leur sein, l’ignorer ou la traiter a minima, se préparent des moments violents où le phénomène de la tâche d’huile réputationnelle sera autrement plus impactant.

Sources

– (1) – Juliette Demey, Hervé Gattegno et Vivien Vergnaud – « Nous indemniserons toutes les victimes » – Le Journal du Dimanche – 14 janvier 2018
– (2) – Margaux Baralon – « Qui est Lactalis, le géant du lait au cœur du bras de fer avec les éleveurs ? » – Europe 1.fr – 29 août 2016
– (3) – Eléonore Duplay – « Lactalis : les excuses d’Emmanuel Besnier » – France 3 Pays de Loire – 2 février 2018
– (4) – Vincent Hugeux et Anne Vidalie – « Volkswagen, quelle histoire ! » – L’Express – 30 septembre 2015
– (5) – Cécile Boutelet – « Volkswagen ébranlé par les accusations de pollution aux Etats-Unis » – Le Monde – 21 septembre 2015
– (6) – Yves Mamou et Marie-Pierre Subtil – « Mediator : c’est à se demander si cette affaire est une fabrication » – Le Monde – 21 novembre 2010
– (7) – Cécile Cornudet – « Chez Volkswagen, ça marche comme en Corée du Nord » – Le Monde – 7 octobre 2015
– (8) – Vincent Hugeux et Anne Vidalie – « Volkswagen, quelle histoire ! » – L’Express – 30 septembre 2015
– (9) – Christophe Roux-Dufort – « http://www.communication-sensible.com/articles/article0087.php » – Magazine de la Communication Sensible – 2005
– (10) – Cécile Ducourtieux et Jean-Pierre Stroobants – « Affaire VW : Bruxelles accusée d’avoir fermé les yeux » – Le Monde – 30 septembre 2015
– (11) – Emeline Cazi – « Le lobbying très politique des laboratoires Servier » – Le Monde – 26 septembre 2011

5 Fév, 2018

Ce que l’affaire « 3 Nutella pour 1  » nous apprend

Des débordements, suite à des promotions inédites, des salariés et des managers en difficultés, un système de distribution sous la pression du régulateur, mais ce n’est pas tout… l’article dans la Tribune montre une partie des progrès restant à parcourir.

  1. Quand  « c’est pas nous c’est le pouvoir d’achat »:  Bien sûr, nous avons tous vu les effets du « Black Friday » sur les écrans. Les grappes de clients agglutinés derrière les grilles d’entrée des grandes enseignes prêts à se ruer sur les produits au première lueur des soldes. Avions-nous vécus l’épisode sur le territoire? Le packaging médiatique associé à cet événement était-il si présent ? Le fait de violence, de débordement, de situations incontrôlées et ingérables, l’intervention des forces de l’ordre y étaient elles associées ? Pour le patron de l’enseigne, Thierry Cotillard, il est question d’une autre cause. Minimisant la responsabilité de son enseigne dans ces événements, il affirme que : « ces excès, et l’image qu’ils nous renvoient de notre société, doivent être lus comme révélateurs d’une vraie attente des consommateurs en termes de pouvoir d’achat ». Ce propos fait échos à celui de Michel-Edouard Leclerc s’exprimant sur BFM peu après et affirmant lui   » Les français sont accros au prix et le politique ne l’entend pas ». Est-ce un argument ? N’est-ce pas plutôt un argument politique alors que les états généraux convergent vers une loi qui obligera les distributeurs à appliquer un prix négociés par les producteurs. Les producteurs ayant eux aussi une véritable attente.
  2. Des équipes malmenées dans un contexte de gestion du risque  : « Nous en profitons pour présenter à nouveau nos excuses à nos équipes malmenées. Nous pourrions saluer cette initiative si elle n’était pas accompagnée de cette phare.« Nous ne serions être tenus pour responsables de ce qui est un symptôme », a-t-il dit. « Nous n’avions pas imaginé une telle effervescence. Il y a eu de réels débordements physiques dans une dizaine de magasins, et beaucoup d’incivilités ailleurs », a-t-il ajouté. Sur le terrain, les managers ont-ils tous adhérés à cette nouvelle vision de la vente, de cela il n’en est pas question. Quoi qu’il en soit, pris de court, les personnels ont été bousculés, les rayons pris d’assaut par les consommateurs venus parfois de loin: l’effet est loin d’être positif.
  3. Une marque qui se désolidarise de son distributeur face au risque d’opinion. Le patron d’Intermarché assure que l’opération de promotion sur le Nutella « n’a pas été réalisée sans partenariat avec le groupe Ferrero » tout en reconnaissant que c’est Intermarché qui a fixé le prix de vente. Le fabricant de Nutella s’était désolidarisé de cette opération, et avait souligné que « cette promotion a été décidée de manière unilatérale » par Intermarché. Mais alors que Nutella change de formule (sans huile de palme) et donc de gout, cette opération qui mobilise une clientèle acquise est plus que bienvenue.
  4. L’une intervention de l’état pour remettre de l’ordre:  Le patron du groupe dans une interview au Journal du Dimanche s’exclame que c’est fini les promotions à -70%. Alors qu’en réalité Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, avait demandé mercredi à l’enseigne de distribution de cesser de telles opérations après les empoignades qui ont suivi cette promotion lancée fin janvier.
  5. L’impératif de compétitivité. Intermarché va de son côté poursuivre de grosses opérations commerciales sur le non-alimentaire, « Concernant les produits non agricoles ou fortement transformés par les multinationales agroalimentaires, nous continuons à recevoir de leur part des propositions de campagnes de réduction de prix entre 30 et 50 %. Les consommateurs le souhaitent », a-t-il dit. La compétitivité prix reste un impératif. « Nous demandons que le plafonnement des promotions soit limité aux produits alimentaires ayant un lien direct avec l’agriculture », a ajouté le patron de l’enseigne ! Et l’article de conclure : « Le projet de loi sur l’alimentation présenté mercredi est censé mettre fin à la guerre des prix entre distributeurs, et redonner un peu d’air aux agriculteurs. » On l’espère !